6 novembre > 17 décembre 2018 : Matías Battistón, traducteur argentin
Né en 1986, Matías Battistón est un traducteur littéraire argentin. Au cours des cinq dernières années, il a signé la traduction en espagnol de plus de trente ouvrages d’auteurs tels que Marcel Proust, James Joyce, Samuel Beckett, Oscar Wilde, John Cage, ou encore Édouard Levé. Il travaille par ailleurs comme conseiller littéraire et éditeur pour des maisons d’éditions locales, tout en enseignant la traduction littéraire à l’Université de Belgrano. Il a été traducteur résident au Trinity College de Dublin en 2016 et a également obtenu une bourse du collège de traducteurs Übersetzerhaus Looren en 2017.
Depuis deux ans, il mène deux grands projets de traduction en parallèle, auprès d’Ediciones Godot et d’Eterna Cadencia, deux maisons d’édition indépendantes argentines. D’une part, il travaille à une retraduction intégrale de la Trilogie de Samuel Beckett, Molloy , Malone meurt et L’innommable . D’autre part, il travaille sur l’œuvre romanesque complète de l’écrivain culte français Édouard Leveé pour Eterna Cadencia, constituée de quatre livres (Œuvres, Journal, Autoportrait, Suicide) dont trois ont déjà été traduits et publiés. Autorretrato paru en 2016, Suicidio paru en 2017, Œuvres paru en octobre 2018 et Journal , prévu pour 2019.
Extrait de la lettre de motivation de Matías Battistón :
"En tant que traducteur, je suis attiré surtout par les œuvres qui expérimentent le langage et la traduction qui poussent nécessairement à la créativité et parfois même à la réécriture. C’est pour cela que depuis quelques années déjà je travaille sur ce que l'on pourrait appeler la «traduction expérimentale» : le développement de méthodes non conventionnelles de traduction (transcréations, traductions avec l’emploi de contraintes formelles, traductions intersemiotiques...). Il s’agit d’un projet qui a commencé avec une série de séminaires que j’ai donnée aux étudiants du Master en Traduction Littéraire à Trinity College Dublin, en 2016, quand j’étais traducteur en résidence en Irlande, et qui a donné lieu à plusieurs ateliers et conférences depuis lors. C’est en Irlande aussi que j’ai co-fondé, avec Alexandra Lukes, Sam Slote, Tim Conley et autres, le groupe Translation Limits Network, un nouveau réseau international de traducteurs, chercheurs et écrivains dédié à l’étude et l’exploration de ce type de méthodes de traduction."
Livres traduits
- (Du français) Catherine Millet, L’art contemporain . Flammarion. Trad.: El arte contemporáneo , Buenos Aires, La Marca Editora, 2018.
- (Du français) Jean-Luc Godard, Éloge de l’amour, P.O.L.. Trad. : Elogio del amor . Buenos Aires, Interzona, 2017.
- (Du français) Édouard Levé, Suicide. P.O.L. Trad. : Suicidio . Buenos Aires, Eterna Cadencia, 2017.
- (Du français) Roland Barthes, Un mensaje sin código. Ensayos completos en la revista Communications . Buenos Aires, Ediciones Godot, 2017. (Recueil intégral des textes écrits par Barthes pour la revue Communications , publiés en français dans OEuvres complètes , Seuil, volumes I-V, passim .)
- (Du français) Stendhal, La risa . Buenos Aires, Interzona, 2017. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) Robert Luis Stevenson, Enamorarse. Buenos Aires, Interzona, 2017. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) D. H. Lawrence, Hacer el amor con música . Buenos Aires, Interzona, 2017. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Du français) Samuel Beckett, L’Innommable . Les Editions de Minuit. Trad. : El innombrable, Buenos Aires, Ediciones Godot, 2016.
- (Du français) Julia Kristeva, Philippe Sollers, Du mariage considéré comme un des beaux-arts. Fayard. Trad. : Del matrimonio como una de las bellas artes . Buenos Aires, Interzona, 2016.
- (Del l’anglais) James Stephens, The Insurrection in Dublin. Colin Smythe. Trad. : La insurrección en Dublín . Buenos Aires, Ediciones Godot, 2016. (Traduit, préfacé et annoté par Matías Battistón.)
- (Du français) Édouard Levé, Autoportrait. P.O.L. Trad. : Autorretrato . Buenos Aires, Eterna Cadencia, 2016.
- (Del l’anglais) John Cage, Ritmo, etc . Buenos Aires, Interzona, 2016. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) Fredric Jameson, On Cultural Studies . Duke University Press, 1993. Trad. : Sobre los Estudios Culturales . Buenos Aires, Ediciones Godot, 2016.
- - (Du français) Gustave Flaubert, Novembre. Conard Éditeur. Trad. : Noviembre . Buenos Aires, Interzona, 2016.
- (Du français) Henri Bergson, La inteligencia . Buenos Aires, Interzona, 2016. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Du français) Marcel Proust, Jérôme Prieur, Le Mensuel retrouvé . Editions des Busclats. Trad. : Marcel antes de Proust. Buenos Aires, Ediciones Godot. 2016.
- (Du français) Charles Baudelaire, Cómo paga sus deudas un genio . Buenos Aires, Interzona, 2015. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) Marshall McLuhan, Unbound. Gingko Press. Trad. : Inédito . Buenos Aires, La Marca Editora, 2015.
- (Du français) Victor Hugo, Bug-Jargal . Bucher Éditeur. Trad. : Bug-Jargal, Buenos Aires, Interzona, 2015.
- (Del l’anglais) Ed Wood, Blood Splatters Quickly. OR Books. Trad. : La sangre se esparce rápidamente. Buenos Aires, Caja Negra, 2015.
- (Del l’anglais) Oscar Wilde, The Fisherman and His Soul. Bloomsbury. Trad. : El pescador y su alma . Buenos Aires, Interzona, 2015.
- (Del l’anglais) Oscar Wilde, Las artes decorativas & La filosofía del vestido . Buenos Aires, Ediciones Godot, 2014. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) John Waters, Carsick . Farrar, Straus and Giroux. Trad. : Carsick, Buenos Aires, Caja Negra, 2014.
- (Del l’anglais) Jeff Chang, Can't Stop Won't Stop: A History of the Hip-Hop Generation. Picador. Trad. : Generación Hip-Hop . Buenos Aires, Caja Negra, 2014.
- (Del l’anglais) George Orwell, Palabras nuevas . Buenos Aires, Ediciones Godot, 2014. (Recueil de textes sélectionnés, traduits et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) Simon Reynolds, Rip it Up and Start Agan : Postpunk 1978-1984. Faber and Faber. Trad. : Postpunk. Romper todo y empezar de nuevo . Buenos Aires, Caja Negra, 2013. (Co-traduction Matías Battistón/Agostina Marchi.)
Traductions de presse
- (Du français) Édouard Levé, OEuvres. P.O.L. Trad. : Obras , Buenos Aires, Eterna Cadencia, à paraître en 2018.
- (Du français) Samuel Beckett, Malone meurt. Les Éditions de Minuit. Trad. : Malone muere , Buenos Aires, Ediciones Godot, à paraître en 2018
- (Du français) Gustave Flaubert, Souvenirs, notes et pensées intimes. Trad. : Recuerdos, apuntes y pensamientos íntimos. Buenos Aires, Interzona, à paraître en 2018.
- (Del l’anglais) W.B. Yeats, Magia , Buenos Aires, Interzona, à paraître en 2018. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) G.K. Chesterton, The Defendant. Brimley Johnson Press. Trad. : El defensor, Buenos Aires, Interzona, à paraître en 2018.
- (Del l’anglais) Bernard Shaw, G. K. Chesterton, Cruces y debates . Buenos Aires, Ediciones Godot, à paraître en 2019. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
- (Del l’anglais) Oscar Wilde, El Príncipe Feliz y otros cuentos . Buenos Aires, Interzona, à paraître en 2019.
- (Del l’anglais) James Joyce, Cartas eróticas . Buenos Aires, Ediciones Godot, à paraître en 2019.
- (Du français) Paul Valéry, Miscelánea . Buenos Aires, Vacío Editorial, à paraître en 2019.
Traductions en cours
- (Du français) Samuel Beckett, Molloy . Les Editions de Minuit. Trad. : Molloy. Buenos Aires, Ediciones Godot.
- (De l’anglais) Gertrude Stein, Narration : Four Lectures , Univ. of Chicago Press. Trad. : Narración . Buenos Aires, Interzona.
- (Du français) Henri Bergson, La filosofía y otros textos . Buenos Aires, La Marca Editora. (Recueil de textes sélectionnés, traduits, préfacés et annotés par Matías Battistón.)
Révisions et corrections de traductions
- Roald Dahl, Los fantastibulosos mundos de Roald Dahl , Buenos Aires, Uranito, 2016. (Révision de la traduction.)
- Sherwood Anderson, Winesburg, Ohio , Buenos Aires, Eterna Cadencia, 2014. (Révision de la traduction.)
- V. S. Pritchett, La mujer de Guatemala . Buenos Aires: La Bestia Equilátera, 2014. (Révision de la traduction.)
Autres publications
- “How I Did Not Translate Beckett”, Translation Studies: Nonsense, Madness, and the Limits of Translation (ed. Alexandra Lukes), Routledge. (Sous presse, à paraître en juillet 2018.)
Écrivain culte, photographe, romancier, « cubiste littéraire » selon ses propres mots, Édouard Levé (1965-2007) est un des auteurs français les plus captivants et influents de sa génération. À la fois attiré par une poétique de l’abstraction et poussé par une pulsion autobiographique débordante, on peut rapprocher ses ouvres également de Georges Perec et Joe Brainard ainsi que d’Andy Warhol et Alain Robbe-Grillet. Ses propositions nettement originelles toutefois l’ont fait se distinguer bientôt comme un talent très singulier. Son geste ultime, d’autre part, a cémenté son mythe : quelques jours après avoir envoyé le manuscrit de son dernier roman, Suicide (où il raconte le suicide inexplicable d'un ami et aussi, de biais, sa propre dépression, ses voyages, ses promenades à Bordeaux), Édouard Levé se tue, sa mort volontaire venant clore une carrière littéraire et artistique paradoxalement rafraichissante.
Pour ma part, à ce moment, et depuis deux ans déjà, je suis en train de traduire la totalité de la production romanesque de Levé (c’est-à-dire, OEuvres, Journal, Autoportrait et Suicide ) vers l’espagnol pour Eterna Cadencia, une maison d’édition argentine. On a commencé avec la traduction et publication d’Autoportrait et de Suicide en 2016 et 2017, respectivement. La réception a été énormément positive et enthousiaste, tant par la critique comme par le public. Ma traduction d’OEuvres , roman paru en français en 2001, est prévue pour octobre 2018, et ma traduction de Journal , qui accomplira ce long projet, est prévue pour 2019. J’aimerais donc profiter de votre résidence pour travailler sur la dernière traduction de ce vaste projet, celle de Journal.
Même en comparaison avec ses autres livres, Journal reste une oeuvre unique. Publié par P.O.L. en 2004, il s’agit d’un roman où il n’y pas à proprement parler une histoire centrale, sinon une foule de narrations courtes, fragmentaires et entremêlés. En effet, comme son titre l’indique, Journal prend la forme d’un journal quotidien, dans lequel l’auteur raconte des fausses nouvelles qui estompent la ligne entre la fiction et la réalité. À la manière de Félix Fénéon et ses Nouvelles en trois lignes , mais avec un ambition plus radical, Levé trouve dans le journalisme une machine à inventer des récits, non sans une fine ironie et une inventivité formidable.
Journal est, en effet, un tour de force de style. Comment créer une atmosphère intime en ne parlant que des événements publics? Comment être authentique en n’abordant que des faits inventés ? Comment revitaliser le langage en n’utilisant qu’un langage dit « journalistique » ? Il s’agit ici bel et bien d’une série discrète d’acrobaties et de pirouettes stylistiques tout à fait personnelles, et le lecteur de la traduction devrait être capable de reconnaître toujours, derrière le pastiche et la mimesis des journaux quotidiens, la voix omniprésente de Levé. Mais ceci n’est pas le seul défi de la traduction. Par ailleurs, il faut tenir en compte l’enjeu intertextuel du livre. D’une part, l’auteur a fondé son projet sur la lecture intensif d’une énorme quantité de journaux quotidiens, en imaginant une série de nouvelles vraisemblables pour le même période. La recherche et lecture des journaux de ce période serait alors d’un énorme intérêt pour le traducteur, qui pourrait ainsi puiser aux sources du romancier. D’autre part, il y a des allusions autobiographiques très indirectes qui traversent l’oeuvre et qui dialoguent avec le reste de la production interdisciplinaire de Levé. Le traducteur ne devrait donc pas seulement connaître à la perfection tous les romans de l’auteur, mais aussi avoir accès aux autres travails publiés et exhibés par Levé en vie (comme Actualités , exhibition photographique de 2001 et véritable germe de Journal ), ce qui s’avère extrêmement difficile hors de la France.
Compte tenu de tout ce qui précède, je considère que cette première traduction de Journal vers l’espagnol comporte un grand intérêt, et représente aussi une série de défies de traduction plus que considérables.
© Anja Kapunkt