Locomotives
de
Jean Richard Bloch
Témoin engagé de la première moitié du XX siècle, Jean-Richard Bloch, agrégé d’histoire, fut en 1908 professeur au lycée de Poitiers. S’il démissionne l’année suivante afin de se consacrer à l’écriture son attachement à la cité poitevine durera toute sa vie : il élit domicile à La Mérigotte : « C'est une petite maison accrochée au-dessus de la vallée, où passe la ligne de Bordeaux quand on quitte Poitiers vers le Midi. », écrit-il à Romain Rolland. De cette ligne de train il en sera question en 1924 lors de la publication aux éditions de la NRF de Locomotives.
Grand voyageur, on lui doit des récits tels que Sur un cargo ou Cacaouettes et Bananes, Jean-Richard Bloch (1884-1947), dont on célèbre l’entrée dans le domaine public cette année, part pour un court trajet en train. Mais pas confortablement installé dans un wagon de première. Nous sommes au début des années 1920 : il choisit plutôt de nous faire partager un périple en direct des locomotives. « Cela commence par la 4241, grosse machine noire à surchauffe » et se termine par une 5008 « tour d'acier, labyrinthe de vapeur ».
Mais, au-delà du voyage et de la technique, ce qui l’intéresse c’est de parler des gens croisés lors de ce périple. Complicité entre chauffeurs et machinistes : « Lorsque le chauffeur va enfourner, il a un claquement de la langue que je mets quelque temps à reconnaître. Le mécanicien allonge alors le bras droit, saisit le loquet d'acier et ouvre la porte du foyer ; la pelletée lancée, il la referme sans rien lâcher, et recommence son mouvement autant de fois que son compagnon chargera. Solidarité muette de gestes, qui me frappe. », ou attitude des voyageurs : « Tous les voyageurs, sur tous les quais du monde, ont la figure tournée vers le train qui entre. Ces figures forment, ce soir, une dizaine de plaques blanches et ovales. Sans nous rien dire, nous cherchons, nous trouvons, sous leurs grands chapeaux d'été, celles de nos trois robes claires. Elles aussi sont dirigées vers nous ; mais elles ne nous regardent pas ; (les jeunes filles ne regardent pas les locomotives) ; elles défilent rapidement au niveau de nos pieds. Une d'elles sent passer ces yeux d'hommes qui l'aspirent ; elle lève la tête et considère un instant ces faces barbouillées où des prunelles brasillent. »
Bloch aime les gens. La Mérigotte est un lieu d’accueil. Au fil du temps passent des auteurs et artistes comme Aragon ou le peintre mexicain Diego Riviera et des intellectuels fuyant la répression franquiste en Espagne. Car Bloch est un homme engagé, communiste, fuyant le nazisme il poursuit le combat depuis l’URSS où il a trouvé refuge avec sont épouse alors que sa maison poitevine est réquisitionnée comme « bien juif ». Élu au Conseil de la République en 1946 il décèdera subitement l’année suivante.