La Rebelle
Roman à proscrire en vertu de la morale chrétienne, La Rebelle occupe une place de choix dans l’édition de 1922 de Romans à lire et romans à proscrire de l’abbé Louis Bethléem. Il juge Marcelle Tinayre comme "L’une des femmes de Lettres les plus 'artistes', les plus anticléricales et les plus licencieuses de notre époque."
Anticléricale certes lorsqu’elle évoque une "vieille fille, aigrie par le célibat, desséchée par la dévotion", licencieuse certainement car Josanne, l’héroïne du roman, trompe son mari selon la bonne morale en cours au début du XXe siècle.
Cependant ce que fustige surtout l’homme d’Église, se sont les réflexions féministes de Josanne comme l’illustre ce passage : "C’est le dimanche matin. L’odeur vanillée du chocolat emplit l’étroit logement, et Josanne, tôt levée, en frottant les meubles, chante. Elle est gaie, ce matin-là…
À tous les étages de la maison, les portes battent, les fourneaux chauffent, les tapis pendent sur l’appui des fenêtres, les balais cognent les planchers. Et, tandis que l’homme et les mioches paressent au lit — délivrés pour un jour du bureau, de l’atelier, de l’école –, la femme, qui n’a jamais de vacances, commence le branle-bas dominical."
Un féminisme qu’il faut resituer dans son époque : La Rebelle paraît en 1905, à la naissance du féminisme revendicatif.
Combat que Marcelle Tinayre marie avec l’anticléricalisme (la loi de séparation de l’Église et de l’État voit le jour la même année) : "Josanne, détournée de son rêve, écoutait cette apologie du sacrifice qui ne l’étonnait pas, prononcée en ce lieu, par un prêtre, et devant des femmes chrétiennes. Dès l’enfance, l’Église avait enseigné à ces femmes qu’elles devaient porter, plus que l’homme, le poids de la réprobation première et du péché originel. Elles étaient les résignées, les servantes, les sujettes, subordonnées au père et à l’époux, nées pour prier, souffrir et servir — et mériter ainsi la 'vie éternelle'".
La Rebelle aborde la question du féminisme, de la liaison extra-maritale, de la jalousie en thèmes principaux et des femmes journalistes, des filles-mères, de l'avortement et du viol conjugal en thèmes secondaires…
Josanne, mariée à un homme malade et aigri, a un amant qui met un peu de joie dans sa vie avant de la délaisser en apprenant sa grossesse. Veuve, elle subsiste par ses travaux pour un journal qui l'amènent à rencontrer l'auteur d'un livre féministe sur lequel elle écrit une chronique. Ils deviennent amis puis amants mais l'auteur doit vaincre sa jalousie pour se mettre en cohérence avec ses principes.
Remettre l’œuvre dans son contexte historique explique aussi la dualité de l’héroïne : "Il y avait en elle deux femmes : celle 'd’en haut', la fière, la vaillante, la 'rebelle', qui voulait se libérer, guérir et vivre dans sa chaste solitude, et l’autre, l’inférieure, l’asservie, qui conservait encore, dans son sang et dans ses nerfs, le poison ancien, le besoin des larmes et des caresses, le goût morbide de la souffrance d’amour…"
À l’opposé de Romans à lire et romans à proscrire, d’autres critiques posent un regard qui illustre la confrontation présente dans la société au début du XXe siècle à l’exemple de la Revue pédagogique en 1906 : "Chez cette femme nouvelle, rien de la Bovary romantique, de l’illuminée du féminisme, de la détraquée des romans ultra-modernes ; son imagination est calme, son sens droit, son tempérament sain ; elle prétend être et rester une honnête femme, mais non pas comme l’entendent la chrétienne soumise et la bourgeoise timorée. À ses yeux, l’honneur est un, ne diffère pas suivant les sexes. Ni le dogme, ni la loi, ni l’opinion ne peuvent, pense-t-elle, lui enlever l’indépendance morale, le droit de penser, de parler, d’agir, d’aimer à sa guise, et, si elle se trompe dans son choix, pourvu qu’elle ait été désintéressée et loyale, son erreur ne lui paraît pas infamante ; elle ne se croit pas condamnée à une irréparable déchéance et ne perd pas l’estime d’elle-même."
Pour résumer et conclure, "La Rebelle apparaît comme une première étape vers une prise de parole proprement féminine dans la sphère publique et vers une reconnaissance et une légitimation […], une nouvelle manière de voir le monde se présentant comme alternative au patriarcat." (Sandrine Bienvenu)
Exemplaire disponible
- Médiathèque Éric-Rohmer de Tulle Agglo
- Médiathèques et ludothèque de Brive
- Bibliothèque Mériadeck de Bordeaux
"Je ne peux pas vivre sans bonheur. Et la volupté du sacrifice ne me suffit pas… Je ne suis pas une sainte ; je ne suis pas une héroïne : je suis une femme, très femme…"