Sonia Moumen, réalisatrice de "Tokyo-Aubusson, le voyage en tapisserie de Hayao Miyazaki"
Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise, avait déclaré à propos de certaines expérimentations en intelligence artificielle, que c’était "une insulte à la vie elle-même1". Une phrase qui résonne particulièrement lorsqu’on découvre les tapisseries d’Aubusson inspirées de son univers : des œuvres entièrement réalisées à la main, pendant des mois, avec un savoir-faire transmis depuis des siècles. Pendant quatre ans, la réalisatrice Sonia Moumen a suivi la confection de plusieurs tapisseries reprenant des scènes des films du Studio Ghibli, avant de les accompagner jusqu’au Japon pour leur présentation. Avec ce documentaire, Sonia Moumen raconte bien plus qu’un projet artistique : elle documente une aventure collective qui relie Aubusson au Japon, et rappelle la place essentielle du geste humain dans l’artisanat.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette rencontre entre la tapisserie d’Aubusson et l’univers d’Hayao Miyazaki ?
Sonia Moumen : C'est le caractère d'abord exceptionnel du projet, qu'une toute petite ville au cœur de la Creuse, au cœur de la France, Aubusson, 3 200 habitants, soit connectée comme ça à l'imaginaire de celui que je considère être le plus grand créateur d'animés japonais. Ça, c'est quelque chose d'assez exceptionnel. Qu’un savoir-faire vieux de six siècles, rencontre l'esthétique d'aujourd'hui aussi, c'est quelque chose d'assez fort. Et c'est ces deux éléments-là qui m'ont semblé justifier le fait de raconter cette histoire. D'autant plus que la tapisserie d'Aubusson, c'est un savoir-faire qui est souvent considéré comme daté, poussiéreux, alors qu’en réalité, via la Cité internationale de la tapisserie, il y a énormément de projets contemporains qui se sont mis en œuvre depuis une dizaine d'années. C’était aussi cette modernité que je trouvais intéressante à montrer, le renouveau d'un savoir-faire.
Qu’est-ce qui, selon vous, relie ces deux univers ? Qu’est-ce qui fait qu’il y a eu cette connexion ?
Sonia Moumen : Ce qui fait la connexion, c'est la question du savoir-faire artisanal. On a d’un côté un savoir-faire qui a plus de 600 ans, et de l'autre un savoir-faire lié au cinéma mais qui, pendant très longtemps, est resté extrêmement artisanal. On sait qu’Hayao Miyazaki travaille toujours à la main. Donc il y a ce travail de la main, un travail du temps extrêmement long : pour réaliser un film, Hayao Miyazaki met quatre ou cinq ans. Pour faire une tapisserie tirée d'une image d’un film, il faut compter entre dix-huit et vingt-quatre mois. On est dans les deux cas sur un travail manuel et long, concentré sur l'image et la représentation de la vie, avec un fort imaginaire. Ce sont deux arts de l'image : d'un côté l'image animée, de l'autre l'image fixe, mais avec un même rapport au cadrage, aux points de vue et aux couleurs.
Le tournage a duré quatre ans, se partageant entre la Creuse et le Japon. Quel moment vous a le plus marqué ?
Sonia Moumen : Le Japon, c'était un grand moment d'émotion, voir le public japonais aussi passionné par l'image qu'on leur restituait, celle d’un artisanat d’art français inspiré de leur propre imaginaire. Mais les grands moments d'émotion, ce sont aussi les tombées de métier, qui rassemblent les liciers, les licières, tous ceux qui ont participé au processus de création. La tombée de métier qu'on voit dans le film, c'est celle du Voyage de Chihiro. C'était assez fabuleux, parce que c'est une tombée de métier qu'on a failli ne jamais atteindre : ce jour-là, il y a eu une espèce de tempête de neige dans le Sud-Ouest. On est arrivés dans la nuit, sous une neige incroyable. C'était comme s'il y avait une espèce de magie des paysages autour de nous.
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Tokyo-Aubusson, le voyage en tapisserie de Hayao Miyazaki, de Sonia Moumen
Documentaire / France, Japon / Le Nouveau Studio / 52 minutes / 2025
Soutien à l'écriture et à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine en partenariat avec le CNC et accompagné par ALCA.
Disponible en replay sur le site france.tv jusqu'au 21/08/2026
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1. Source de la citation du réalisateur japonais : https://www.youtube.com/watch?v=ngZ0K3lWKRc&t=90s