Publiées en 1894, les Histoires désobligeantes de Léon Bloy s'inscrivent dans le courant des contes cruels qui prit son essor au milieu du XIX^e siècle parmi lesquels on retrouve les Contes cruels de Villiers de L'Isle-Adam (1883), les Lettres de ma chaumière d'Octave Mirbeau (1885) et sans doute un certain nombre de nouvelles et contes de Guy de Maupassant, Jules Barbey d’Aurevilly ou Joris-Karl Huysmans.

"Il sertit d'or l'excrément ; il monte sur des métaux précieux, précieusement ouvrés, la perle noire de la bave. Quand il en arrive à ce point d'orfèvrerie et de ciselure, l'excrément lui-même devient un joyau", écrivait Octave Mirbeau à propos de Léon Bloy.

Écrivain intransigeant, pamphlétaire exaspéré, catholique fervent et farouche anticlérical, absolu en tout, Léon Bloy (1846-1917) fut l'une des plumes les plus atypiques de la langue française et effraya ses contemporains, dont il attaqua inlassablement les réputations, par sa terrible éloquence.

Comme le note Emmanuelle Caminade, les Histoires désobligeantes prennent pour cible les bourgeois, "ces hommes qui ont l'air d'être pluriels" et "font semblant d'être vivants", ces esprits "aux idées médiocres et rétractiles à toute impression d'ordre supérieur" "incapables de déceler la Beauté [...] et soumis au Dieu Argent" : des hommes "ne vivant que pour se rincer les tripes" dont il fustige l'aveuglement, comme l'hypocrisie et la profonde bêtise. "Savez-vous, me dit-il, que l’Argent est Dieu et que c’est pour cette raison que les hommes le cherchent avec tant d’ardeur ?" écrit-il dans La Religion de monsieur Pleur.

Composé de trente-deux courtes nouvelles, ce recueil est aussi un exercice de style : remarquablement construit il présente en quelques touches une atmosphère peuplée de personnages à peine décrits mais parfaitement identifiables.

Le premier texte de cet ouvrage, La Tisane, donne le ton dès la première phrase : "Jacques se jugea simplement ignoble." "Esprit de feu, composé de foi et d'enthousiasme", selon Barbey d'Aurevilly, Bloy dérangea les hommes de son temps qui redoutaient ses convictions (opposé à l'antisémitisme, à la colonisation, adversaire de l'argent et de la bourgeoisie) et eut un ascendant sur des écrivains majeurs tels que Louis-Ferdinand Céline, Georges Bernanos, Ernst Jünger, Maurice G. Dantec ou encore Philippe Muray.