Documentaristes et droit à l’image : entre liberté de filmer et respect des personnes
Le documentaire est un outil essentiel de transmission du réel. Toutefois, lorsqu’il met en scène des personnes reconnaissables, le droit à l’image constitue une limite à la liberté de filmer.
Ce droit, lié au respect de la vie privée, impose une vigilance particulière aux documentaristes, notamment dans des environnements sensibles comme les hôpitaux ou les établissements pénitentiaires. Bien que le droit à l’image ne soit pas explicitement codifié, il découle de l’article 9 du Code civil qui garantit à chacun le respect de sa vie privée. Le droit à l’image fait ainsi partie du droit à la vie privée. En principe, la diffusion de l’image d’une personne nécessite son autorisation expresse, qui doit être claire et non équivoque.
Selon la jurisprudence, toute personne dispose d’un droit exclusif sur son image et peut s’opposer à sa reproduction sans autorisation. La simple captation d’une image, même dans un lieu public, requiert l’accord de la personne concernée. Ce principe s’applique à tous, qu’il s’agisse de personnes anonymes ou de personnalités publiques. La reconnaissance ne repose pas uniquement sur le visage ; toute identification est suffisante pour activer la protection. Filmer un salarié dans une boutique identifiable ou diffuser une photo d’un individu dans un lieu public peut être jugé illégal.
L’autorisation donnée pour un tournage dans un but spécifique ne peut être détournée à d’autres fins. La jurisprudence rappelle que le consentement au tournage ne vaut pas pour la diffusion de l’image. En principe, l’autorisation doit être expresse, spécifique et éclairée. Toutefois, des exceptions existent. Un consentement tacite peut être retenu si une personne accepte visiblement d’être filmée, sans s’y opposer, en étant informée des finalités du tournage. Par exemple, dans un reportage diffusé sur M6 en 2006, un chauffeur de taxi avait, par son comportement, accepté la présence des caméras1. De même, dans le film Être et avoir (2002), l’instituteur a activement participé à la promotion du documentaire, validant ainsi la diffusion de son image2. Dans les deux cas, les personnes concernées ont intenté une action en justice pour atteinte à leur vie privée ou au droit à l’image, mais les tribunaux les ont déboutées, considérant qu’elles avaient consenti, de manière implicite, à la captation et à la diffusion des images.
Cependant, un consentement tacite suppose une information claire sur la finalité du tournage. Dans une autre affaire, une jeune fille qui avait refusé d’être filmée lors d’un accouchement a vu ses droits reconnus3. La charge de la preuve du consentement repose sur le diffuseur. C’est à celui qui publie ou exploite les images de prouver qu’une autorisation a bien été donnée.
Certaines situations exigent une vigilance renforcée. Ainsi, en milieu hospitalier, le respect du secret médical et de la vie privée est impératif (article L1110-4 CSP). Le patient filmé doit pouvoir retirer son consentement à tout moment, même après le tournage. Une autorisation institutionnelle du centre hospitalier est souvent requise. De plus, le simple consentement à la captation ne vaut pas automatiquement autorisation de diffusion.
En milieu carcéral, les demandes de tournage doivent être autorisées par le ministère de la Justice. Bien que le détenu conserve son droit à l’image, la validité de son consentement devient complexe dans un environnement où la contrainte prédomine. La pression psychologique et l’influence de l’environnement carcéral peuvent altérer la volonté réelle du détenu. Par ailleurs, des règles strictes s’appliquent, tant pour les lieux que pour le personnel et les détenus. Le droit à l’image n’est toutefois pas absolu : il peut entrer en conflit avec la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Le droit à l’image protège la vie privée des individus, mais il peut être limité lorsqu’il entre en jeu avec la liberté d’expression, notamment dans des contextes publics ou pour des objectifs d’intérêt public, comme l’information ou la critique sociale.
Les juridictions européennes ont souvent dû se prononcer sur ce dilemme entre la liberté d’expression et le droit à l’image, cherchant à équilibrer la protection de la vie privée et la nécessité de garantir une liberté d’expression dans une société démocratique. La Cour européenne des droits de l’Homme, dans l’arrêt Von Hannover II (2012), a précisé que la contribution à un débat d’intérêt public, la notoriété de la personne filmée et les circonstances de la captation sont des critères essentiels.
En conclusion, le droit à l’image protège les personnes filmées, notamment en milieu hospitalier ou carcéral, où la fragilité des individus est accrue. Respecter la légalité permet de renforcer la crédibilité et la pérennité du travail des documentaristes.
Jurisprudences citées :
1. Cour de Cassation, Chambre civile 1, 7 mars 2006, 04-20.715.
2. Cour de Cassation, Chambre civile 1, 13 novembre 2008, 06-16.278.
3. Tribunal de Grande Instance de Paris, 18 mai 2009.
© Cabinet ORA 2025. Olivier Ramoul, Alexandra Achenbach
Afin de concilier exigence documentaire et légalité, les documentaristes doivent :
- Informer clairement les personnes filmées (but, durée, diffusion).
- Recueillir un consentement écrit, daté et signé, idéalement réitéré avant diffusion.
- Préciser les modalités de retrait de consentement dans les contrats.
- Anonymiser les images (floutage, modification de la voix) si nécessaire.
- Obtenir les autorisations institutionnelles (directeur d’hôpital, administration pénitentiaire).
- Se faire accompagner juridiquement, surtout pour des productions à forte portée sociale.