Le prix Goncourt des détenus 2024 en Nouvelle-Aquitaine
À l’occasion de la troisième édition du prix Goncourt des détenus, ALCA a interrogé Clara Guinaudeau, coordinatrice régionale des activités culturelles et sportives à la Direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) de Bordeaux, sur l’organisation et les retombées de ce prix en Nouvelle-Aquitaine.
Quels sont les établissements pénitentiaires de Nouvelle-Aquitaine qui participent au Goncourt des détenus cette année, comment se fait la sélection et quel est le public touché ?
Clara Guinaudeau : Il y a quatre établissements néo-aquitains qui participent à cette édition : les maisons d’arrêt de Guéret, de Limoges, de Bayonne et de Saintes. Les personnes qui portent le projet au sein des établissements sont soit les coordinateurs et coordinatrices culturelles, soit les enseignants et enseignantes de l’Éducation nationale. Ce sont elles qui font remonter les candidatures. Ensuite, les délibérations se font au niveau national, en sachant que la Disparition préconise un ordre de priorité en fonction de différents critères. Cela représente une quarantaine de détenus volontaires participants (environ dix par structure), qui peuvent être en mixité dans les établissements ayant un quartier pour femmes, comme à Limoges ou à Saintes. Mais de manière indirecte, il y a beaucoup plus de personnes en détention qui sont touchées. Si l’on prend la maison d’arrêt de Guéret, par exemple, où il y a une trentaine de détenus, l’enseignante référente a développé un projet au niveau de tout l’établissement en achetant notamment un lot des titres sélectionnés pour le personnel, pour qu’il puisse lire les livres en même temps que les détenus.
Comment s’organise ce prix en région ? Quelles sont les différentes étapes et les partenaires impliqués ?
Clara Guinaudeau : Le projet est porté par le Centre national du Livre (CNL) et l’administration pénitentiaire (ministère de la Justice), qui dictent le calendrier. Une totale liberté est laissée aux coordinateurs culturels et aux enseignants pour décider de la façon dont ils organisent leur groupe de lecteurs. Il n’y a aucun prérequis pour y participer ; même des non-lecteurs peuvent contribuer. Nous découvrons la sélection des seize titres au moment où l’Académie Goncourt la dévoile. Dès début septembre, avant même de recevoir les livres, nous commençons, avec les groupes de participants, un travail d’initiation sur les auteurs et leurs œuvres. Nous n’imposons pas de lire les seize livres en deux mois, car cela peut être compliqué selon les conditions d’incarcération et les niveaux de lecture. Les groupes de lecture se réunissent une à deux fois par semaine, parfois de façon plus espacée. Ensuite, dans chaque établissement, une rencontre avec un auteur ou une autrice est organisée via le CNL, soit en présentiel, soit en visio. Cette année, ce sont Emmanuelle Lambert, Jean-Noël Orengo et Abdellah Taïa qui rencontreront les détenus néo-aquitains. Ensuite ont lieu les délibérations régionales1 en présence d’un ou de deux jurés par groupe de lecture, selon les permissions de sortie obtenues. Pour les délibérations finales à Paris2, il y a un seul représentant par région.
En dehors des librairies partenaires de l’événement, plusieurs bibliothèques sont également associées, souvent par l’intermédiaire des SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation], pour animer les groupes de lecture. À Bayonne, par exemple, un gros travail a été entrepris entre la maison d’arrêt et la bibliothèque de la ville. Cela contribue à développer des liens dedans-dehors, au-delà du prix.
Quels sont les impacts de ce prix sur les détenus participants d’après les retours d’expérience que vous avez pu avoir ?
Clara Guinaudeau : Pour les détenus concernés, le fait de participer à un événement d’envergure nationale, avec un prix attribué à un auteur grâce à leur choix, la prise de conscience, lors des rencontres avec les auteurs en prison, de ce que représente l’obtention de ce prix pour eux, ne serait-ce qu’au niveau des retombées économiques, tout cela valorise leur jugement et leur contribution. On sait par ailleurs que les détenus suivent beaucoup les médias en cellule. Or, au moment de l’attribution du prix Goncourt classique, il y a une surmédiatisation des auteurs primés et de l’événement, auquel ils ont alors le sentiment d’appartenir. C’est très important pour eux, par exemple, de savoir que les libraires apposent le bandeau "Prix Goncourt des détenus" sur le livre primé. Et au-delà de cette reconnaissance, pour beaucoup d’entre eux, cela leur a donné le goût de lire et d’aller vers des livres qu’ils n’auraient, sinon, jamais lus.
Propos recueillis par Marie-Pierre Quintard