L’Arbre vengeur a 20 ans
Publié le
12/05/2023
Alors que cinq maisons d’édition du territoire célèbrent cette année leur anniversaire, ALCA vous propose une galerie de courts entretiens avec leurs directeurs ou directrices. L’occasion de mettre en lumière la diversité et la vitalité de leurs projets éditoriaux. Rencontre avec David Vincent et Nicolas Etienne, fondateurs de la maison d’édition littéraire L’Arbre Vengeur, enracinée à Bordeaux (33).
David Vincent et Nicolas Etienne : Nous avons a lancé cette maison en s’amusant, presque par défi. Grands lecteurs et amis, on parlait beaucoup des livres épuisés et de ceux qui manquent. Alors un jour, on a décidé de les éditer nous-mêmes. Nous avons conçu nos premiers titres à la main, sans savoir si on arriverait à avancer et à s’entendre parce que l’édition en duo ce n’est pas évident. Cela a fonctionné, certainement parce que nous avons chacun notre territoire : l’un s’occupe de l’éditorial et du commercial, l’autre gère la fabrication et l’aspect artistique. Tout en gardant très longtemps nos métiers respectifs – libraire pour l’un, graphiste pour l’autre - nous avons développé un catalogue de littérature qui nous ressemble et dont chaque livre est comme un petit morceau de nous-même. Aujourd’hui, il regroupe près de 300 titres et abrite six collections actives dont une de poche que nous avons créé en 2018. On y trouve des textes contemporains comme des rééditions d’auteurs disparus il y a 150 ans, de l’insolence, des chemins de traverse versant tant dans l’anticipation que dans le roman social engagé. Au fond, ce ne sont pas tant les histoires qui nous intéressent que la façon dont elles sont modelées par une écriture.
D.V et N.E : C’est assez étonnant parce qu’on n’aurait vraiment pas cru tenir 20 ans. Donc nous avons voulu fêter ça, de manière un peu décalée comme toujours. En se penchant sur notre catalogue, on s’est demandé si, après tout ce temps, on était encore capable de savoir pourquoi on avait édité tel ou tel livre. Cet exercice périlleux a donné lieu à un petit livre anniversaire qui réunit un essai sur le bonheur d’Heinrich von Kleist et la liste de tous nos titres, commentés un à un, par une seule phrase. On a diffusé cet ouvrage en librairie où quelques opérations sont aussi prévues. Enfin, en cette année particulière, nous (ré)éditons uniquement des livres symboliques de ce qu’on fait depuis le début, et des projets auxquels on tient depuis longtemps. Eric Chevillard, Jean Ray, Alain Fleischer ou Walker Hamilton… : ce sont des reflets de nos excitations littéraires, un peu comme un feu d’artifice final, au cas où l’aventure s’arrêterait demain.
D.V et N.E : Il y a encore des montagnes de livres que nous voudrions publier et on a déjà en tête de quoi remplir les cinquante prochaines années. D’autant qu’à l’heure où les nouveautés ont une durée de vie de plus en plus courte, on sent un appétit des libraires pour (re)découvrir des textes. Mais il est compliqué de se projeter parce que notre métier se construit année après année, dans une certaine précarité. On souhaite pouvoir continuer à prendre du plaisir, en ne nous plaignant pas trop. Malgré les difficultés, on reste convaincu qu’il faut se battre pour la littérature et que les petites maisons de notre taille ont encore quelque chose à signifier de l’enthousiasme et de la singularité d’en éditer. Nous avons beau le faire avec détachement et humour, on y croit fermement, comme des gamins !
Propos recueillis par Pauline Leduc