Fermeture de L'Ascenseur Végétal : des librairies "poussées aux confins de la cité"
Fin janvier 2023, Claude Lemaire a mis la clé sous la porte de sa librairie L'Ascenseur Végétal, installée rue Bouquière à Bordeaux (33) depuis 2015, pour concentrer ses ventes sur son site Internet. La fermeture émane du rachat de l'immeuble par un groupe de promoteurs immobiliers et de la hausse des loyers, qui rend illusoire la location du fonds de commerce.
3 questions à...
Claude Lemaire, fondateur de la librairie L'Ascenseur Végétal à Bordeaux (33)
Vous cessez l'activité de votre librairie implantée physiquement à Bordeaux depuis 2015. Pouvez-vous expliciter les raisons de cette fermeture ?
Claude Lemaire : À la suite du décès de la propriétaire, l'immeuble où se situe le local de la librairie a été vendu d'un seul tenant à des promoteurs immobiliers qui vont entreprendre sa rénovation complète. Ils ne souhaitent cependant pas relocaliser la librairie temporairement pendant les travaux ni l'accueillir de nouveau quand ceux-ci seront terminés. La société propriétaire a donc proposé une rupture de bail assortie d'une indemnité d'éviction.
Les loyers en centre-ville et leur hausse sont un sujet qui interroge les pouvoirs publics au sens large. Que pensez-vous de cette difficulté à faire survivre les commerces indépendants au profit de grands parcs immobiliers ?
C.L. : Les baux commerciaux et les loyers sont désormais beaucoup trop élevés dans le centre de Bordeaux pour espérer trouver un nouveau local et poursuivre l'activité de la librairie physique. En caricaturant à peine, pour le loyer que la librairie paye actuellement (13 200 € annuels pour 120 m² en rez-de-chaussée et un bureau de 30 m²), il est aujourd'hui possible d'avoir la moitié de la surface commerciale en périphérie de la ville.
L'ouverture de la librairie en 2015 correspondait plus ou moins à une "gentrification culturelle" du quartier, bien que la rue où elle était implantée accueille depuis longtemps des associations, artisans, créateurs, etc. Cependant, l'accroissement de l'attrait touristique du quartier a généré l'installation de commerces plus rentables type prêt-à-porter, opticiens ou restaurants.
La conséquence directe, en plus de la croissance du marché de l'immobilier en général, est malheureusement la poursuite de ce processus classique de "développement" des centres villes vers une homogénéisation de ces quartiers. Ceux-ci perdent toute identité culturelle, en dehors du bâti, car ce sont systématiquement les mêmes types de commerce qui sont en mesure de payer des loyers. Ces derniers exigent des marges de 60 % ou 80 % sur les produits vendus ; or, la librairie est le commerce où les bénéfices sont les plus faibles : entre 30 % et 40 %. Les activités culturelles peu rémunératrices sont poussées aux confins de la cité, ce qui n'est pas nouveau. Seule une politique volontariste des propriétaires immobiliers et/ou des administrations serait en mesure d'aller à l'encontre de ce rouleau compresseur.
Vous concentrez donc de nouveau votre stock sur Internet, à l'instar de vos débuts sur le marché. Quelle est la raison d'être de ce projet et ses ambitions futures ?
C.L. : Pour être honnête, j'ai peiné pendant sept ans à faire vivre la librairie-galerie. Je n'ai pas l'énergie de me battre pour reconstruire ou développer un nouveau lieu. Je choisis donc un repli à la campagne dans le but de minimiser les frais et pour me permettre par ailleurs de me dédier au site Internet qui a grandement pâti de l'activité physique à Bordeaux. L'ambition est de pouvoir enfin créer mon emploi d'ici l'été 2024, moment où j'ai prévu d'évaluer l'avenir de l'activité. J'ai certes le sentiment de "recroquevillement" avec ce départ, mais il faut être objectif et réaliste sur la viabilité d'un projet.
Je ne vais toutefois pas me concentrer à 100 % au site Internet, puisque j'ai prévu de conserver un rendez-vous mensuel à Bordeaux chez N'a qu'1 œil, autre librairie indépendante de la rue Bouquière. J'envisage également de poursuivre des collaborations ponctuelles avec des partenaires historiques de L'Ascenseur Végétal du centre historique de la ville. Par ailleurs, je continuerai de représenter la librairie lors de la semaine d'ouverture des Rencontres d'Arles ainsi qu'à Paris pendant Paris Photo. Le temps dégagé devrait également me permettre d'envisager une participation à un ou plusieurs autres festivals de photographie.