Madame la Ministre,
Vous avez annoncé le 11 mars 2021 un programme de travail en faveur des auteurs et autrices et sa Mesure 12 promet « d’améliorer la structuration, la mise en réseau et la visibilité de l’offre de résidences d’écriture sur l’ensemble du territoire ».

Nombre de tribunes et lettres ouvertes, parues en ces temps de crise sanitaire, ont souligné le rôle primordial des créateurs et des créatrices, trop souvent négligé, et ont exprimé la crainte d’assister au sauvetage aveugle d’un certain modèle « marchand » de la culture.

Nous, collectif réunissant des Résidences d’auteurs et d’autrices, souhaitons vous apporter notre point de vue et l’expérience déjà longue de la plupart d’entre nous.

La crise sanitaire a souligné l’extrême interdépendance du vaste et vigoureux écosystème qui fait exister les livres et les conduit aux lecteurs et lectrices, et que la fermeture des bibliothèques et des librairies a soudain mis au pas en mars 2020. Ses enjeux économiques sautaient alors aux yeux. Mais quelle attention est portée à ses fissures anciennes ? Depuis des années, et de façon de plus en plus étayée et pressante récemment, les pouvoirs publics sont interpellés sur la précarité des auteurs et autrices, dont s’accommodent tant de témoins. Très fragile pierre angulaire d’un édifice économique et intellectuel, les autrices et auteurs crient leur malaise et revendiquent des socles aussi fondamentaux qu’un statut, des contrats d’édition respectueux, une gestion simplifiée, fiable et transparente de leurs droits. Ils disent les limites d’un travail de création renvoyé aux marges d’un « second métier », ou aux fonctions de VRP des salons du livre et festivals, ou aux injonctions à se convertir en mercenaire du « 100 % éducation artistique et culturelle », nécessités qui s’imposent trop souvent en l’absence d’un régime adapté à l’exercice de leur métier protéiforme.

Aider le secteur du livre et de la lecture à faire face à ses difficultés, tout en restant sourd aux appels de ses créateurs et créatrices, ne saurait être que la promesse de crises plus profondes encore. Notre conviction est que nous ne saurions faire société sans penser la place faite aux artistes, ni concevoir de politique culturelle sans soutien préalable à la création.

Nous ajoutons donc notre voix à celles qui affirment le besoin urgent d’établir de meilleures conditions de création pour la littérature. L’art d’écrire – non seulement pour le livre, mais aussi pour la scène, par l’image, pour les nouvelles formes numériques, pour les lieux d’exposition, les arts plastiques, le cinéma, les performances transdisciplinaires… – l’art d’écrire suppose un travail considérable, hélas fort peu considéré. Le rapport Racine a clairement souligné la nécessité de repenser la situation des auteurs.

Nous, porteurs de résidences d’auteurs et d’autrices, savons que nos lieux figurent parmi les leviers de la reconnaissance, de l’attention et de la rémunéra=on que réclame ce travail « souterrain » et essentiel de l’écriture. Opérateurs non marchands, ancrés dans des territoires très divers, nous œuvrons quotidiennement, dans la durée, avec une patience complémentaire des tables de librairie et des festivals, à l’inscription des artistes du texte et de l’image dans la cité. Aux côtés des auteurs et  autrices et à leur écoute, nous concevons sur mesure les précieux espaces-temps nécessaires à la concentration, à la recherche, aux laboratoires, aux expérimentations et aux rencontres. Depuis mars 2020, contre vents et virus, nous avons continué de nous adapter pour accompagner au mieux la création, nous sommes restés ouverts, restés à l’écoute des autrices et auteurs qui, de plus en plus, manifestent le besoin de temps de résidence pour sortir de l’isolement dans laquelle la crise nous assigne.